mardi 24 novembre 2015

Au programme au cinéma de Céret en novembre 1930

Aventures et romance au cinéma de Céret en 1930

On peut lire dans le journal La Vérité républicaine du 14 novembre 1930 le programme du cinéma à Céret, dans la salle municipale et au cinéma Le Cérétan pour les séances de samedi et dimanche. Peut-être certains cérétans, aujourd'hui très âgés, se souviennent-ils avoir vu ces films ? Voyons ce qu'il en est de ce programme.


Des aventures en Sibérie...


Le premier film annoncé est « Michel Strogoff », interprété par les célèbres artistes Yvan Mosjoukine et Nathalie Kovenko. Michel Strogoff est avant tout un célèbre roman d'aventures de Jules Verne publié en 1876. L'histoire se déroule en Russie  et raconte l'histoire d'un messager du Tsar chargé de porter un message au frère de celui-ci afin de le prévenir d'un complot visant à permettre l'invasion de la Sibérie par des hordes tartares. Son chemin est bien sûr parsemé d'embûches, il se fait notamment brûler les yeux, mais il rencontrera aussi l'amour, avec la belle Nadia.

Parmi les acteurs du film, Nathalie Kovanko (Nadia)

Le film diffusé à Céret en 1930  est un film muet de 1926, réalisé par le cinéaste russe Victor Tourjansky (1891-1976), émigré après 1917 en France, puis plus tard aux États-Unis et enfin en Italie. L'article de presse précise qu'il s'agit de la deuxième partie du film diffusée ce jour-là à Céret, car la totalité de ce long-métrage dure tout de même 2 heures et 48 minutes !

L'acteur principal est Ivan Mosjoukine (1889-1939), émigré russe en France, et une des plus grandes vedettes du cinéma muet de l'époque ayant déjà joué dans plus d'une centaine de films. Son fort accent russe l'empêchera de faire carrière dans le parlant, ce qui lui vaudra alors de mourir seul et dans la misère.

Ivan Mosjoukine (Michel Strogoff)
est dans une mauvaise passe...

La belle Nadia est l'actrice ukrainienne Nathalie (Natalia) Kovenko (1899-1967). Elle est à l'époque la compagne de Victor Tourjansky et participe à la plupart de ses films. Lorsqu'il la délaisse au début des années 30 pour l'actrice française Simone Simon, elle rentre dans son pays et arrête le cinéma.

Ce film  de 1926 n'a pas été tourné en Sibérie, mais à Boulogne-Billancourt pour les scènes d'intérieur, puis en Lettonie dans des paysages similaires aux grandes steppes, avec le concours de plusieurs milliers de figurants de l'armé lettone elle-même pour les scènes de batailles, et enfin en Norvège. Dépaysement garanti pour nos spectateurs du Vallespir !
Etrangement, Victor Tourjansky réalisera en 1961 une autre adaptation de ce roman, Le Triomphe de Michel Strogoff, mais cette fois-ci en version sonore et en italien !

On peut voir ci-dessous un extrait du film.



...et une histoire romantique de vengeance.


Le deuxième film annoncé est « Souvent est pris », délicieuse comédie interprétée par Monte Blue et Dorothy Devore. Il s'agit d'un film muet américain de 1926 connu sous un autre titre, « La double mort du capitaine Frazer », à l'origine « The Man Upstairs ». Le réalisateur en est Roy Del Ruth (1895-1961), encore à ses débuts à l'époque mais qui deviendra le deuxième réalisateur le mieux payé d'Hollywood dans les années 30.

Le film « Souvent est pris » a été perdu depuis, et l'on sait seulement qu'il était constitué de 7 bobines. L'histoire est celle d'un homme, Geoffrey, cherchant à obtenir un rendez-vous d'une femme, Marion, via une petite annonce. Lui ayant fait une blague, celle-ci décide de se venger en se faisant passer pour morte et en l'accusant d'être l'auteur du crime. Après quelques péripéties et l'avoir sorti de prison, elle finit par lui accorder le rendez-vous demandé.

Monte Blue en 1924

Le rôle de Geoffrey est interprété par Monte Blue (1887-1963). Après avoir commencé comme cascadeur, il se fait une réputation comme acteur de film romantiques et est un des rares acteurs à avoir survécu à la révolution du cinéma sonore.

Le rôle de Marion est interprété par Dorothy Devore (1889-1976). Véritable vedette durant les années 20 dans de nombreux films de comédie, elle arrête sa carrière au moment du passage au parlant.

Dorothy Devore en 1925

En France, le cinéma muet vit en 1930 ses dernières heures, puisque le premier long métrage sonore français est tourné cette année-là, mais la plupart des salles de cinéma ne sont pas encore équipées à cet effet, lui assurant ainsi un sursis momentané.

Il y a encore un cinéma à Céret de nos jours qui diffuse un à deux films par semaine.

Le cinéma de Céret  de nos jours

Sources :
La Vérité républicaine du 14 novembre 1930 [via le fonds numérisé de la Bibliothèque de Perpignan, domaine public]
Articles Wikipédia des sujets concernés (cf. liens).
Informations sur The Man Upstairs : Catalogue du American Film Institute.

Illustrations :
Photos du film Michel Strogoff : La Petite Illustration cinématographique du 7 août 1926 [domaine public]
Photo de Monte Blue : Photoplay Publishing Company [domaine public]
Photo de Dorothy Devore : Auteur inconnu, photo promotionnelle de 1925 [domaine public]
Photo du cinéma : Fabricio Cardenas [cc-by-sa]

Les autres articles sur Céret sont à relire ici.

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dimanche 8 novembre 2015

Vision du Canigou en 1842

« L'imposante magnificence du Canigou »

Le massif du Canigou semble avoir pour propriété naturelle de provoquer une impression indélébile sur tous ceux qui le découvrent pour la première fois, ainsi que nous avons pu déjà le voir avec Adolphe Thiers en 1822. Vingt ans plus tard, la vicomtesse de Satgé, aristocrate anglaise, est elle aussi subjuguée et nous livre sa vision du Canigou.

Une aristocrate anglaise au Canigou


Mme la vicomtesse Satgé de Saint-Jean, née Caroline Sparkess, est une aristocrate anglaise. Elle ne s'est pas trouvée face au Canigou par hasard. Cosme de Satgé, seigneur de Thoren (ancienne commune du Conflent réunie à Sahorre), et ses fils font des affaires en Angleterre. L'un des fils, Valentin, épouse en 1832 la dite Caroline puis obtient le titre de vicomte. Caroline Sparkess devient ainsi vicomtesse et découvre les Pyrénées-Orientales dont elle décide de faire la promotion. C'est dans un petite brochure illustrée de ses propres dessins et parue en 1842, intitulée Esquisses sur les Pyrénées, où elle y présente les deux extrémités de cette chaîne de montagne, qu'elle nous y parle notamment du Roussillon, de la région de Prades, de Ria-Sirach, de Thoren... et du Canigou. Voyons ce qu'elle nous en dit.

Le château de Thoren et le Canigou au 19ème siècle

Le Canigou,

Près des environs de Prades.


Dans toutes mes courses, je n'ai, je pense, rien vu qui égale, mais bien certainement rien qui surpasse l'imposante magnificence du Canigou.
Il est debout, seul, au milieu des riches plaines du Roussillon, le monarque absolu de quelques-unes des plus belles scènes de la nature. Le profond azur d'un ciel espagnol, imprimant sur ses gigantesques masses toutes les chaudes et vigoureuses teintes du Midi, le revêt d'une prismatique et indicible beauté ; et les villages qui nichent à ses pieds dans le sein des bois, et la merveilleuse verdure de ses vallées, baignées par un grand nombre de ruisseaux et de rivières, donnent à sa position un charme incomparable.
Le Canigou s'élève de 8,652 pieds au-dessus du niveau de la Méditerranée, et il fut longtemps considéré comme un des plus hauts points de toute la chaîne des Pyrénées ; mais le Maledetta, qui a 10,772 pieds au-dessus de l'Océan, est maintenant reconnu pour le pic le plus élevé de ces gigantesques fortifications, qui, commençant avec le Canigou, s'étendent comme des remparts entre les deux nations, et forment une chaîne depuis la Méditerranée jusqu'à l'Atlantique.

The Canigou (dessin de la vicomtesse de Satgé)


Un sommet culminant qui n'en est pas un


Dans son récit, la vicomtesse de Satgé mentionne le Maledetta comme plus haut sommet des Pyrénées. Chacun sait de nos jours que le réel point culminant des Pyrénées est le pic d'Aneto, avec une altitude de 3404 mètres. Hors, celui-ci est justement situé dans le massif de Maladeta, côté espagnol en Aragon. Le pic de Maladeta, avec ses 3312 m, passait jadis pour être le plus haut tandis que l'Aneto, étant moins visible, paraissait plus petit. Le Canigou, quant à lui, est loin derrière avec ses 2784 mètres, mais reste sans conteste le plus majestueux d'entre tous les sommets pyrénéens de par sa situation, ce qui convient bien au titre de « monarque absolu » que lui confère la vicomtesse de Satgé.


Sources :
Esquisses sur les Pyrénées (Sketches among Pyrénées) par Mme la vicomtesse Satgé de Saint-Jean, Paris : Arthus-Bertrand ; Londres : Bossange, Barthès et Lowell, 1842, 14 p. via Rosalis (bib. numérique de Toulouse) [domaine public]
Note sur l'éditeur français de cette brochure : c'est un aïeul du célèbre photographe Yann Arthus-Bertrand.
Infos biographiques : Les Pyrénées-Orientales en 1842 vues par une aristocrate anglaise, par Madeleine Souche, sur le site Maison de l'histoire Languedoc Roussillon Catalogne
Sommets pyrénéens : Articles de Wikipédia correspondants (cf. liens)

Illustrations :
Photo du château de Thoren : photo prise avant 1886 sans doute par Élisée Reclus (1830-1905), via Gallica [domaine public] 
The Canigou : Esquisses sur les Pyrénées (cf. supra) [domaine public]

Sur le Canigou vous pouvez aussi relire...
sur ce blog :
* Adolphe Thiers en admiration devant le Canigou en 1822 ;
* L'inauguration du refuge des Cortalets en 1899.
parmi mes anciennes chroniques :
* quatre articles impliquant une araignée, un pyrénéiste anglais, un mirage et l'auteur du Livre de la Jungle.

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