dimanche 8 janvier 2017

Un pèlerinage efficace en 1883

De l'importance de respecter le rituel


Une fois n'est pas coutume, le présent article va sortir des limites strictes du département des Pyrénées-Orientales, puisqu'il concerne un lieu situé juste de l'autre côté de la frontière, dans la province de Gérone. Mais les protagonistes de l'histoire retranscrite ci-dessous sont bien deux perpignanaises, en voyage d'un pays catalan à un autre, nous évitant ainsi le hors-sujet.

Le journal de Perpignan Al Galliner, dans son numéro du 1er avril 1883, consacre un article au sanctuaire de Notre-Dame de Nuria (Mare de Déu de Núria), ancien ermitage qui fait l'objet d'un pèlerinage depuis plusieurs siècles, notamment pour lutter contre l'infertilité.

Situé dans une vallée assez reculée, au nord du village de Queralbs en Catalogne , et au sud-est de Font-Romeu, son accès est difficile en provenance du versant français des Pyrénées, en traversant la montagne par Saillagouse ou Eyne par exemple, et doit se faire à pied. De l'autre côté de la frontière, le meilleur moyen depuis 1931 est de prendre le train à Queralbs. Celui-ci se rend jusqu'au pied de la vallée avec une ligne de chemin de fer classique qui devient ensuite à crémaillère pour pouvoir monter directement jusqu'au sanctuaire, où l'on trouve aussi de nos jours un hôtel.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Notre-Dame de Nuria en hiver


L'article d'Al Galliner commence par nous faire une présentation du site et de son accès depuis Font-Romeu. Puis, le ton devient plus comique s'agissant du récit de nos deux perpignanaises parties en pèlerinage en ce lieu. Le dénouement est surprenant, quoiqu'un peu prévisible, et l'on pourrait penser que le journaliste a inventé cette petite histoire pour les besoins de son article...


Un vœu exaucé

Beaucoup de Roussillonnais connaissent l'ermitage de Font Romeu situé en face Mont-Louis, sur ce bloc de montagnes qui servent de limites naturelles entre la France et l'Espagne. Peu pourtant se sont hasardés à pousser plus loin et les fatigues d'un parcours considérable fait à pied ou à dos d'âne ont fait reculer beaucoup de touristes qui auraient pourtant désiré se rendre à N.-D. de Nuria.
Perché sur une colline du versant occidental des Pyrénées on n'y arrive qu'après avoir parcouru plusieurs forêts impénétrables et avoir successivement gravi plusieurs sentiers qui, sans la moindre exagération, pourraient être comparés au chemin du Paradis.
Mais aussi je vous assure qu'à votre arrivée au lieu de votre pèlerinage, une riche compensation vous dédommage de vos fatigues.
Je ne décrirai pas l'ermitage en lui-même qui, à part son côté pittoresque, n'a rien d'extraordinaire, mais je ne puis m'empêcher de vous parler du panorama dont on jouit de ce point : à vos pieds les profonds ravins surplombés par des rochers énormes couverts ça et là de quelques bouquets d'arbustes sauvages, au fond desquels une eau écumeuse et bouillonnante, se perd à travers les rochers, dont est pavé le lit et parfois se précipite en cascades d'une hauteur prodigieuse.
Un peu plus loin s'étendent d'immenses prairies naturelles se détachant par le vert clair de leur teinte sur le sombre feuillage des forêts de pins ; et comme fond, à tout ce tableau, l'immensité de la plaine catalane et de l'azur de ce beau ciel espagnol.



Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
L'église de Notre-Dame de Nuria

Ce que j'oubliais de dire, c'est que N.-D. de Nuria entr'autres dons, grâces et pouvoirs dont elle dispose peut selon la légende faire disparaître la stérilité. C'est pourquoi beaucoup de jeunes femmes poussées par le désir d'être mères n'hésitent pas à entreprendre cet important pèlerinage ; il est même d'usage d'offrir un ex-voto à la chapelle, de fourrer sa tête dans une immense marmite en même temps que la main agitant une corde fait sonner une cloche placée au-dessus.
La légende prétend que la Vierge vous accorde autant d'enfants que la cloche produit de tintements.
C'est ce motif qui avait engagé deux dames de notre ville, d'aller à N.-D. de Nuria ; belle-mère et belle-fille qui vivaient en parfaite harmonie, chose extraordinaire, mais auxquelles il manquait un beau bébé pour être au comble de leur bonheur ; cette intention fut communiquée au mari qui quoique un peu sceptique ne fit aucune opposition.
Dans un élan de générosité, égalant son désir de posséder un fils, la belle-fille promit de sacrifier à la Vierge sa parure de fiancée, écrin d'une grande valeur.
L'époque fixée pour le pèlerinage arriva et tout fut disposé pour le départ ; les effets d'hiver furent bourrés dans une malle et enfin on alla prendre la parure qui devait faire exaucer, avec leurs prières, le vœu des deux pèlerines.
On l'examina encore et la fille avait déjà fermé l'écrin, avec un soupir de regret quand la belle-mère le lui reprit lui disant qu'il était vraiment dommage de sacrifier cette parure à laquelle elle tenait tant. J'ai encore dit-elle une parure de noce, nous pourrons la substituer à la tienne et je crois que notre vœu sera tout de même accompli.
Comme on le comprend bien cette combinaison fut bien accueillie de la belle-fille qui du reste comme toutes les femmes, tenait beaucoup à ses bijoux et qui ne se séparait pas de ceux qui lui étaient le plus agréables sans beaucoup de regrets.
Le voyage s'effectua heureusement, on arriva sans encombre à l'ermitage, et après un séjour d'un jour pendant lequel on fourra la tête dans la marmite légendaire, on revint à Perpignan le cœur plein d'espoir et l'âme ravie par le panorama qui avait défilé sous leurs yeux pendant le parcours.
Quelques mois après, leurs vœux furent pleinement exaucés, quand je dis pleinement ce n'est pas tout à fait le mot, car un bébé était attendu ; mais comme la belle-mère avait fait le sacrifice de sa parure, ce fut elle qui eut les profits de la situation en donnant à la famille un superbe poupon.

R. R.


Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
La marmite et la cloche


Post-scriptum
Je me suis moi-même rendu dans ce sanctuaire en janvier 2015, en tant que simple touriste, pour m'y retrouver coincé dans l'hôtel à cause d'une tempête de neige. Malgré un cadre magnifique, je dois confesser que l''ambiance y était alors tout à fait digne de celle que l'on retrouve dans le film Shining. Il ne manquait que Jack Nicholson... et une fois le calme revenu je me suis donc dépêché de revenir à la civilisation. Sans doute devrais-je tenter d'y revenir un jour à la belle saison.

Vieux papiers des Pyrénées-Orientales
Ambiance Shining dans l'hôtel de Nuria...


Source : Al Galliner du 1er avril 1883 [domaine public], via le fonds numérisé de la Médiathèque de Perpignan.
Photos : Fabricio Cardenas [cc-by-sa]



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